Pollinis, SCoPAFF, cnDAspe… et abeilles
#25 | Magazine | Réglementation | Transparence et légitimité démocratique du processus décisionnel concernant la substitution des pesticides les plus dangereux.
Un article publié en octobre dernier par l'ONG Pollinis met en lumière les blocages au sein du SCoPAFF1 (Comité Permanent des Plantes, des Animaux, des Aliments et des Engrais) concernant les « tests abeilles », des évaluations de risques visant à mesurer l'impact des pesticides sur les pollinisateurs.
Depuis 2013, malgré les recommandations de l'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) pour renforcer ces tests, les décisions nécessaires ont été systématiquement repoussées ou bloquées, entravant ainsi l'amélioration des protocoles de sécurité des pesticides.
Par ailleurs, les actions de l'ONG Pollinis ont révélé que la Commission européenne, sous pression des lobbies agrochimiques, maintenait une opacité totale sur les décisions du SCoPAFF. Cette situation a empêché la mise en place de mesures plus strictes pour protéger les abeilles et, plus largement, la biodiversité. Pollinis a alors demandé l'accès à 78 documents pour comprendre les raisons de ces blocages, mais ces demandes ont longtemps été rejetées.
Ce combat pour la transparence que mène Pollinis s'inscrit dans une démarche plus large visant à défendre les pollinisateurs et à dénoncer les liens entre les décideurs européens et les intérêts agrochimiques.
Pendant ce temps
Un avis rendu par la Commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (cnDAspe)2, publié en octobre 2023, a également mis en lumière les difficultés de la politique européenne visant à substituer les pesticides les plus dangereux par des alternatives moins nocives pour la santé publique et l'environnement et bien sûr nos abeilles... Cette politique de substitution, mise en place en 2009 par l'Union européenne, repose encore sur le règlement 1107/2009 — https://eur-lex.europa.eu/... —, mais se heurte à de nombreux obstacles.
Parmi ceux-ci figurent une mauvaise application dans les États membres et un manque d'engagement réel pour remplacer les substances dangereuses. Les autorités européennes et nationales ne contrôlent pas suffisamment l'application de ces mesures.
Concrètement, l'avis de la commission (cnDAspe) souligne que le guide méthodologique utilisé pour l'évaluation comparative des pesticides a été adopté par le SCoPAFF sans que le Parlement européen n'ait eu de droit de regard. Ce guide, révisé trois fois depuis 2011, a été élaboré par des groupes de travail répondant à des critères de compétences, mais ne satisfaisant pas aux exigences actuelles en matière de transparence et de gestion des conflits d'intérêts. La cnDAspe critique le fait que ce document ait été adopté par le SCoPAFF sans consultation du Parlement européen, ce qui soulève des questions sur la transparence et la légitimité démocratique du processus décisionnel concernant la substitution des pesticides les plus dangereux.
Au final, l'avis de la cnDAspe recommande plusieurs actions pour améliorer la situation : augmenter les contrôles sur l'application de la substitution, réviser les critères d'évaluation des pesticides et promouvoir la recherche sur les alternatives écologiques. Il appelle également à une révision des cadres réglementaires européens pour assurer une substitution effective des pesticides, dans l'intérêt de la santé et de la biodiversité.
En somme, l'avis de cette structure officielle corrobore les conclusions d'une association agissant comme ONG !
https://www.alerte-sante-environnement-deontologie.fr/
“David contre Goliath”
Les problématiques soulevées par l'ONG Pollinis et la cnDAspe concernant la régulation des pesticides et la protection des pollinisateurs s'inscrivent dans un contexte plus large qui inclut les enjeux agricoles et commerciaux, notamment en lien avec les accords internationaux et particulièrement le brûlant dossier du Mercosur.
L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur (marché commun d'Amérique du Sud) soulève d'importantes questions sur la cohérence des politiques européennes. D'un côté, l'UE cherche à renforcer la protection de l'environnement et de la santé publique par des réglementations plus strictes sur les pesticides, et ce malgré les contradictions et l'opposition de certains lobbys comme l'illustre la situation avec le SCoPAFF. De l'autre, l'accord Mercosur pourrait faciliter l'importation de produits agricoles provenant de pays aux normes environnementales et sanitaires moins rigoureuses. Par conséquent, cet accord risque d'affaiblir davantage les régulateurs des pesticides et de renforcer l'influence des lobbyistes, mettant ainsi encore plus en péril les intérêts des consommateurs, des agriculteurs et des apiculteurs.
Cette situation met en lumière la nécessité d'une approche globale et cohérente de la politique agricole et commerciale de l'UE. Il est crucial que les efforts pour améliorer la réglementation des pesticides et protéger les pollinisateurs en Europe ne soient pas compromis par des accords commerciaux qui pourraient favoriser l'importation de produits ne respectant pas ces mêmes standards.
Pour assurer une véritable transition vers une agriculture plus durable, il faudrait donc :
Renforcer la transparence et l'indépendance des processus décisionnels au niveau européen, comme le demande Pollinis.
Appliquer efficacement les politiques de substitution des pesticides dangereux, comme le recommande la cnDAspe.
Veiller à ce que les accords commerciaux, y compris celui avec le Mercosur, intègrent des clauses strictes sur le respect des normes environnementales et sanitaires européennes.
Ces mesures permettraient d'assurer une meilleure cohérence entre les objectifs de protection de l'environnement, de santé publique et de développement économique, tout en préservant la biodiversité et en soutenant une agriculture plus respectueuse de l'environnement.
On peut toujours rêver.
Le SCoPAFF (acronyme anglophone pour Standing Committee on Plants, Animals, Food, and Feed) est un comité permanent de l'Union européenne qui joue un rôle central dans l'évaluation et l'autorisation des pesticides, ainsi que d'autres produits liés à l'agriculture et à la chaîne alimentaire.
La cnDAspe, ou Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement, est une instance française indépendante. Elle a pour mission d'encadrer et promouvoir la déontologie dans les domaines de la santé publique et de l'environnement, en veillant au respect des principes éthiques par les experts, les institutions et les décideurs publics.
De traiter les alertes signalées par des lanceurs d'alerte ou des citoyens concernant des risques sanitaires ou environnementaux. Elle agit comme une interface entre ces alertes et les autorités compétentes.
D'émettre des avis sur des sujets d'intérêt public liés aux questions de santé et d'environnement, souvent en lien avec des sujets controversés ou complexes, tels que l'usage des pesticides, la pollution, ou les perturbateurs endocriniens. Son rôle est de garantir la transparence, l'indépendance et la rigueur scientifique dans les processus d'expertise et de décision, notamment dans des contextes où des conflits d'intérêts ou un manque de transparence peuvent exister.