Mercosur et miel
#26 | Magazine | Réglementation | Les effets de l'importation illimitée de miel et de produits de la ruche sont multiples pour la France.
Nous l'évoquions dans l'article précédent — Pollinis, SCoPAFF, cnDAspe… et abeilles — l'accord susceptible d'être entériné entre l'UE et le Mercosur soulève de nombreuses questions sur l'avenir de l'agriculture européenne mais concerne également l'apiculture. Les agriculteurs (et les apiculteurs) français crient leur désarroi ces jours-ci, mais celui-ci a malheureusement pris racine il y a déjà bien des années.
L'accord commercial entre l'Union européenne (UE) et le Mercosur, conclu en 2019, prévoit des dispositions spécifiques concernant le miel. Selon les termes de cet accord, le Mercosur bénéficierait d'un quota annuel d'exportation de 45 000 tonnes de miel vers l'UE, exempté de droits de douane.
Cette mesure vise à faciliter l'accès des producteurs de miel des pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) au marché européen, en réduisant les barrières tarifaires. Toutefois, cette disposition suscite des préoccupations parmi les apiculteurs européens, notamment français, qui craignent une concurrence accrue pouvant affecter leurs revenus et la viabilité de leurs exploitations.
Il est important de noter que, bien que l'accord ait été conclu en 2019, sa ratification n'est pas encore finalisée. Des discussions sont en cours pour aborder les préoccupations soulevées, notamment en matière de normes environnementales et sanitaires.
Accord UE-Mercosur : opportunités et critiques pour l'Europe
L'accord entre l'Union européenne et le Mercosur présente à la fois des opportunités et des défis. D'un côté, il offre aux entreprises européennes un accès privilégié à un marché émergent en pleine croissance, permettant l'exportation de biens industriels, de services et l'accès aux matières premières. Cependant, cet accord soulève également des inquiétudes, particulièrement en France, en raison de la concurrence accrue pour les agriculteurs européens, notamment dans les secteurs bovins, ovins et apicoles. De plus, des préoccupations environnementales liées à la déforestation en Amazonie et à l'impact écologique des exportations massives alimentent le débat, mettant en lumière les complexités de cet accord commercial.
Risques généraux d'une mondialisation sans limites
Les effets de l'importation illimitée de miel et de produits de la ruche sont multiples pour la France, ses producteurs et consommateurs. Il n'est pas nécessaire de se focaliser sur le Mercosur pour observer ces effets, car ils sont déjà bien visibles avec d'autres provenances comme l'Asie ou l'Ukraine. En ce moment, en août 2024, 24 145 tonnes de miel ont déjà été importées, dont 37 % en provenance d'Ukraine exempté de droits de douane. Fait notable, 1 495 tonnes de miel ont déjà été importées du Vietnam à un prix moyen de 1,56 €/kg (Sources : Douanes françaises – Traitement des données par l'ADANA).
Dans un passé proche, en 2022, la production de miel a atteint le volume exceptionnel de 31 387 tonnes. Cependant, les importations de miel ont atteint près de 35 700 tonnes (= 67 087 tonnes - 5 236 tonnes à l'exportation), alors que la consommation totale de miel en France a été estimée à 49 700 tonnes. Cette situation a contribué à un déficit commercial record de près de 98 millions d'euros, en raison de la hausse conjointe des volumes importés et des prix moyens (sources ITSAP, Le marché français du miel en 2022 : l'heure du bilan).
Plus on importe, moins les apiculteurs français vendent… le miel leur reste sur les bras. C'est un fait, et cela continue à perdurer à cause du prix du marché.
Un autre effet néfaste d'un marché sans limites est la disparité des normes de production. Au final, elles auront des conséquences sur nos abeilles. Les règles moins stricts des pays exportateurs incitent les pays européens, notamment la France, à assouplir leurs propres règles pour rester compétitifs. On entend déjà la « petite musique » concernant un possible retour des néonicotinoïdes en agriculture, une demande émanant à la fois de certains agriculteurs harassés et de politiciens inquiets de voir leurs administrés submergés par le flot de produits importés bon marché. Il ne s'agit pas de jeter la pierre sur les victimes et leurs représentants mais de bien comprendre le piège dans lequel ils se retrouvent. Voir le sujet publié hier (20 novembre) par l'UNAF, assez révélateur — L'UNAF appelle le Sénat à refuser le retour des insecticides « tueurs d'abeilles » — https://www.unaf-apiculture.info/actualites/l-unaf-appelle-le-senat-a-refuser-le-retour-des-insecticides-tueurs-d-abeilles.html
Quels sont finalement les risques pour le miel français ?
Le miel produit par les pays du Mercosur, notamment l'Argentine et le Brésil, représente un véritable défi pour le marché français de plusieurs manières.
Une concurrence accrue sur les prix : le miel sud-américain est moins cher à produire, grâce à des coûts de main-d'œuvre plus faibles, une production à grande échelle, souvent mécanisée, et un accès à de vastes zones propices à l'apiculture extensive. En conséquence, les miels du Mercosur arrivent sur le marché européen à des prix beaucoup plus compétitifs, rendant difficile pour les producteurs français, dont les coûts sont plus élevés, de rivaliser.
Impact sur les revenus des apiculteurs français : les importations massives de miels étrangers, souvent mélangés et reconditionnés, tirent les prix vers le bas. Cela dévalorise les miels français, pourtant reconnus pour leur qualité et leur diversité (miel de lavande, acacia, châtaignier, etc.). Pour les apiculteurs français, cela se traduit par une pression sur leurs marges, voire une perte de parts de marché.
Risque de fraude et de dilution du marché : les miels importés sont parfois mélangés avec des sirops de sucre ou dilués pour augmenter les volumes. Cela nuit à la confiance des consommateurs et à la réputation du marché global du miel. Cette fraude rend difficile la valorisation des miels locaux de qualité, qui doivent respecter des normes strictes.
Menace sur la biodiversité locale : la concurrence économique pousse certains apiculteurs français à abandonner leur activité ou à réduire leurs ruches, ce qui a un impact indirect sur la pollinisation et la biodiversité en France. Or, les abeilles jouent un rôle crucial dans l'agriculture et les écosystèmes.
Dépendance accrue aux importations : actuellement, près de 75 % du miel consommé en France est importé. Une augmentation des volumes en provenance du Mercosur pourrait accentuer cette dépendance et fragiliser encore davantage la filière locale. Cela pose également un risque en termes de souveraineté alimentaire et de sécurité des approvisionnements.
Perte de confiance des consommateurs : si les miels importés, notamment du Mercosur, continuent de dominer les rayons et si des scandales liés à leur qualité ou leur composition émergent, les consommateurs pourraient perdre confiance dans l'ensemble du marché, y compris envers les miels français authentiques.
Solutions pour protéger le marché français
Pour limiter ces dangers, plusieurs stratégies peuvent être envisagées. Il faut renforcer les contrôles sur les importations pour détecter les fraudes et garantir la qualité, promouvoir les miels français auprès des consommateurs via des labels de qualité (IGP, AOP, bio), encourager la traçabilité pour différencier les miels locaux des produits importés, et soutenir les apiculteurs français par des subventions, des formations et une meilleure reconnaissance de leur rôle dans la préservation de la biodiversité.
Si le Mercosur est un concurrent de taille sur le marché du miel, la filière française a des atouts à valoriser. Toutefois, sans un soutien adéquat et des mesures pour protéger les producteurs locaux, le miel français risque de subir une pression économique et environnementale de plus en plus forte.
En résumé
L'accord UE-Mercosur prévoit un quota annuel de 45 000 tonnes de miel importé sans droits de douane.
Les importations massives de miel menacent les apiculteurs français, avec un déficit commercial record en 2022.
Les risques incluent une concurrence accrue sur les prix, la baisse des revenus des apiculteurs français, et des fraudes potentielles.
La dépendance aux importations s'accroît, avec près de 75 % du miel consommé en France déjà importé.
Des solutions proposées comprennent le renforcement des contrôles, la promotion des miels français, et le soutien aux apiculteurs locaux.
Sans mesures de protection, le miel français risque de subir une pression économique et environnementale croissante.