Vers une meilleure compréhension génétique de la résistance des abeilles au varroa
#45 | Vivant | Repro | Architecture polygénique de la résistance à Varroa destructor chez l'abeille Apis mellifera.
Le parasite Varroa destructor représente un défi majeur pour l’apiculture mondiale. Ce n’est pas le seul mais il occupe pas mal les scientifiques. Ce redoutable acarien affaiblit les colonies en se nourrissant de l’hémolymphe des abeilles et en transmettant divers virus. Face à cette menace, les chercheurs tentent de mieux comprendre les mécanismes génétiques qui sous-tendent la résistance naturelle de certaines populations d’abeilles.
Une étude récente publiée dans la revue Molecular Ecology le 31 décembre 2024 a mené la plus vaste analyse pangénomique1 jamais réalisée sur la résistance des abeilles au varroa. Les scientifique cherchent à identifier les facteurs génétiques associés à cette capacité de résistance et à ouvrir la voie à des stratégies d’élevage sélectif plus efficaces. Pour cette étude, les chercheurs ont analysé plus de 1 500 colonies d’abeilles provenant de divers pays, notamment la France, la Suisse, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et la Nouvelle-Zélande.
Une analyse génétique approfondie
Les scientifiques ont étudié les génomes de plusieurs colonies d’abeilles présentant une résistance naturelle au varroa. Grâce à des outils de pointe en génomique et bioinformatique, ils ont pu mettre en évidence des marqueurs génétiques corrélés à des mécanismes de résistance. Cependant, une autre étude (Guichard et al. 2020) avait révélé qu’il n’existe pas de corrélation significative entre les différents traits comportementaux classiquement utilisés comme indicateurs de la résistance au varroa, tels que le VSH (Varroa Sensitive Hygiene), le MNR (Mite Non-Reproductive), le toilettage (grooming), le comportement hygiénique ou le recapping. En fonction des populations étudiées et de leur histoire évolutive, ces corrélations varient entre un lien apparent et l’absence totale de lien.
Cette nouvelle étude révèle donc plusieurs régions du génome impliquées dans ces comportements de défense, confirmant que la résistance au varroa est en partie héritée. Cependant, les résultats montrent que cette résistance est essentiellement héréditaire et polygénique2. Alors que 60 associations significatives ont été identifiées, aucune n’explique une partie substantielle de la variance génétique des traits de résistance. Cela souligne la complexité de ce trait et indique que la sélection génomique pour la résistance au varroa devra exploiter l’ensemble des variations génétiques disponibles plutôt que de cibler quelques mutations spécifiques.
De plus, l'étude a mis en évidence l'influence de la diversité génétique et de l'environnement sur la capacité de résistance des abeilles. Certaines lignées semblent mieux adaptées aux conditions locales, ce qui suggère que la sélection doit également tenir compte des interactions entre génétique et environnement. L'analyse a également révélé des variations dans l'expression de gènes impliqués dans les réponses immunitaires et métaboliques des abeilles, renforçant l'idée que la résistance au varroa ne dépend pas uniquement de facteurs comportementaux, mais aussi de mécanismes biologiques complexes.
En termes simples : l'étude montre que la résistance des abeilles au varroa est héritée génétiquement, mais de façon complexe. Ce n'est pas un seul gène qui est responsable, mais plutôt de nombreux gènes qui travaillent ensemble. Même si les chercheurs ont trouvé 60 liens génétiques différents, aucun n'est assez fort à lui seul pour expliquer la résistance. Pour améliorer la résistance des abeilles, il faudra donc considérer l'ensemble de leurs gènes plutôt que de se concentrer sur quelques mutations spécifiques. De plus, les abeilles résistent mieux au varroa quand elles ont une bonne diversité génétique et qu'elles sont bien adaptées à leur environnement local. C'est comme une double protection : leurs gènes les aident à se défendre (un peu comme notre système immunitaire) et leur adaptation à leur environnement les rend plus fortes. Ce n'est donc pas juste une question de comportement, mais aussi de biologie interne.
Implications pour l’apiculture
Ces avancées scientifiques ouvrent de nouvelles perspectives pour l’apiculture. En identifiant les marqueurs génétiques de la résistance, les éleveurs pourraient, à terme, sélectionner et reproduire des lignées d’abeilles naturellement plus résistantes. Cependant, la sélection ne pourra pas se baser uniquement sur la gestion de quelques mutations à effet fort. Au contraire, elle devra utiliser des approches intégrant la diversité génétique à travers l’ensemble du génome des populations d’abeilles.
Une telle approche permettrait à la fin de réduire l’usage des acaricides, dont l’efficacité diminue avec l’émergence de résistances chez le varroa. De plus, préserver et favoriser des colonies présentant des comportements de résistance naturels pourrait être un levier clé pour une apiculture plus durable et résiliente face aux menaces sanitaires.
Un autre aspect essentiel soulevé par cette étude est l’importance de la diversité des sources génétiques. L’échange entre populations résistantes et vulnérables pourrait contribuer à renforcer la résilience globale des colonies. Les chercheurs recommandent ainsi de promouvoir des stratégies de gestion des populations d’abeilles basées sur la conservation et la diversification génétique plutôt que sur la sélection stricte d’une seule lignée résistante.
Points clés
Le Varroa destructor représente une menace majeure pour l'apiculture mondiale.
La plus vaste analyse pangénomique à ce jour a étudié plus de 1 500 colonies d'abeilles dans plusieurs pays.
La résistance au varroa est héréditaire et polygénique, impliquant de nombreux gènes.
Aucune mutation spécifique n'explique une part importante de la résistance.
La sélection génétique doit considérer l'ensemble du génome plutôt que des mutations isolées.
L'environnement et la diversité génétique jouent un rôle crucial dans la résistance.
Une approche de sélection intégrant la diversité génétique est recommandée pour une apiculture durable.
Références
Eynard, S.E., Mondet, F., Basso, B., Bouchez, O., Le Conte, Y., Dainat, B., Decourtye, A., Genestout, L., Guichard, M., Guillaume, F., Labarthe, E., Locke, B., Mahla, R., de Miranda, J., Neuditschko, M., Phocas, F., Canale-Tabet, K., Vignal, A. and Servin, B. (2025), Sequence-Based Multi Ancestry Association Study Reveals the Polygenic Architecture of Varroa destructor Resistance in the Honeybee Apis mellifera. Mol Ecol, 34: e17637. https://doi.org/10.1111/mec.17637
Guichard, M., Dietemann, V., Neuditschko, M. et al. Advances and perspectives in selecting resistance traits against the parasitic mite Varroa destructor in honey bees.Genet Sel Evol 52, 71 (2020). https://doi.org/10.1186/s12711-020-00591-1
Une analyse pangénomique est une étude qui examine l'ensemble du génome d'un organisme pour identifier des variations génétiques associées à des traits particuliers. Dans ce contexte, il s'agit de la plus vaste étude à ce jour analysant les marqueurs génétiques liés à la résistance au varroa chez plus de 1 500 colonies d'abeilles.
Polygénique : Se dit d'un caractère ou d'un trait héréditaire qui est contrôlé par l'action combinée de nombreux gènes, où aucun gène individuel n'a d'effet prépondérant.