Stress hivernal des colonies faibles
#95 | Pratique | Expérience | Jusqu’où intervenir ?
Les apiculteurs connaissent bien cette “scène” qui se répète lorsque l’hiver s’installe. Une ruche paraît légère, la grappe audible mais réduite, la colonie est manifestement à la limite. Le geste d’urgence semble s’imposer, souvent mû par l’espoir de sauver un essaim qui a déjà traversé plusieurs mois d’instabilité.
Les situations de ce type exigent pourtant une analyse posée plutôt qu’une succession d’interventions improvisées. L’expérience acquise sur le terrain montre qu’une ruche faible en hiver ne répond pas de la même manière qu’une colonie bien constituée, et qu’un excès de sollicitude peut accentuer ses difficultés.
Comprendre la faiblesse d’une colonie avant le froid
Lorsqu’une colonie entre dans la saison froide avec une population trop limitée, la question des réserves passe au second plan. La grappe hivernale dépend de la densité d’abeilles capables de produire et de retenir la chaleur issue de la thermogenèse thoracique. Une grappe trop restreinte perd cette capacité, ce qui conduit la colonie à se figer et à perdre l’accès au miel situé à courte distance. Ce scénario est courant après un essaimage tardif, un remérage imparfait ou une chute de ponte en fin d’été. Il se renforce lorsque les abeilles d’hiver n’ont pas été produites en nombre suffisant pour compenser les pertes naturelles.
L’observation régulière de la surface du couvain d’automne, de la vigueur de la reine et du volume d’abeilles permet d’anticiper ces faiblesses. Une colonie qui n’occupe plus qu’un noyau réduit sur quelques cadres dès octobre aura beaucoup de mal à constituer une grappe stable en décembre.

Intervenir sans dérégler l’équilibre thermique
En hiver, chaque manipulation modifie l’équilibre fragile de la grappe. Une ouverture trop longue, même par temps calme, disperse la chaleur accumulée pendant des heures. Cette perte n’est jamais compensée, même avec l’ajout immédiat d’un pain de candi ou d’un cadre de miel. L’intervention utile reste donc minimale et brève. Le placement du candi au plus près de la grappe peut prolonger la capacité de survie de la colonie pendant un épisode froid, mais ne modifie pas la dynamique interne qui a conduit à la faiblesse initiale.
Les redoux hivernaux incitent souvent à examiner le contenu de la ruche. Cette action doit être maîtrisée. Une vérification visuelle rapide du positionnement de la grappe et du stock restant à proximité suffit largement. Déplacer des cadres ou agrandir l’espace disponible risque au contraire d’aggraver la situation en fragmentant la cohésion thermique.
Reconnaître le moment où l’aide devient illusoire
Certaines colonies atteignent un niveau de faiblesse où aucune intervention ne permet de redresser la situation. Lorsque le nombre d’abeilles passe sous le seuil assurant la thermorégulation minimale, la grappe ne peut plus monter dans les réserves ni protéger un éventuel couvain tardif. Les apports énergétiques ne font alors que prolonger la présence d’un groupe résiduel sans permettre une véritable reprise au printemps.
Accepter ce constat évite de disperser son énergie au détriment de ruches plus prometteuses. La gestion hivernale gagne en efficacité lorsque les apiculteurs identifient tôt les colonies condamnées et concentrent leurs efforts sur les unités capables d’assurer leur propre dynamique.
Adapter sa stratégie annuelle pour limiter les situations critiques
Les difficultés hivernales sont souvent la conséquence d’un déficit de préparation en fin d’été. Les colonies fortes, bien renouvelées et dotées d’une reine active supportent la froidure sans surveillance particulière. Les colonies fragiles, quant à elles, résultent fréquemment d’un manque de population, d’un traitement contre Varroa tardif, d’une disette automnale également en lien avec la pression du frelon asiatique ou d’un remérage tardif. Une politique d’unification pendant le mois d’octobre réduit fortement l’apparition de situations critiques en hiver. Réunir deux colonies moyennes aboutit souvent à une seule colonie vigoureuse, tandis que conserver deux colonies faibles conduit à deux pertes potentielles.
Cette approche vaut pour les ruchers familiaux autant que pour les structures professionnelles. L’évaluation du volume d’abeilles, de la réserve disponible et de la cohérence du couvain tardif constitue la base d’un hivernage maîtrisé.
Le regard de l’apiculteur face aux pertes hivernales
La perte d’une colonie en hiver suscite une réaction émotionnelle forte. Les apiculteurs débutants y voient souvent un échec, alors que les plus expérimentés l’interprètent comme un indicateur de ce qui devra être ajusté l’année suivante. Adopter une posture mesurée et humble permet d’agir avec discernement, sans surinterpréter chaque perte mais sans banaliser les défaillances répétées. L’hivernage reste un test exigeant qui renvoie à la qualité du travail réalisé de juillet à octobre.
Ce rapport à la perte aide à distinguer les interventions pertinentes des actions motivées par une inquiétude compréhensible mais improductive. La lucidité, dans ces moments-là, conforte la cohérence du rucher pour la saison suivante.
Réorienter la saison à venir à partir de ces observations
L’état d’une colonie début mars influence l’ensemble de la dynamique printanière : capacité de renouvellement, développement des butineuses, production de mâles, réussite des divisions. Les ruches affaiblies dès la sortie de l’hiver cumulent les retards et entraînent une perte de rendement plusieurs mois plus tard. Intégrer les enseignements des éventuelles difficultés hivernales permet de renforcer la méthode de travail. L’apiculteur qui accepte de laisser partir une colonie trop faible gagne du temps pour consolider les autres, organiser ses cadres de réserves, préparer ses élevages et ajuster la conduite de son rucher.
Cette approche replace l’hivernage dans une stratégie annuelle cohérente. Elle encourage une pratique où l’action n’est ni impulsive ni systématique, mais issue d’un raisonnement fondé sur la biologie des abeilles et sur l’observation précise du rucher. La qualité de la saison suivante se construit souvent dans ce silence hivernal où la grappe maintient, tant bien que mal, l’équilibre thermique de la colonie.
Nous vous invitons à lire et relire « L’apiculture en automne » et « L’apiculture en hiver » qui donnent les clés pour des saisons charnières et piègeuses :
L’apiculture en automne
L’automne est une période cruciale pour tout apiculteur souhaitant maintenir des colonies d’abeilles fortes et en bonne santé durant l’hiver. Alors que les températures commencent à baisser et que les ressources florales se raréfient, les abeilles doivent se préparer à affronter plusieurs mois de froid, de précipitations et de disette relative.
L’apiculture en hiver
L’hiver est une saison charnière pour les abeilles, une de plus me direz vous, mais la survie de la colonie dépend largement de la manière dont elle a été anticipée. Les abeilles sont moins actives, voire inactives, et pourtant, les risques demeurent nombreux : températures basses, réserves insuffisantes, humidité, maladies et attaques de nuisibles. Dan…
Références utiles
Un article récent explore le rôle de la thermorégulation et des signaux physiques (température interne) comme indicateur de santé hivernale des colonies. L’étude montre que les variations de température à l’intérieur de la grappe (ou du nid) sont fortement liées à la survie ou à l’effondrement des colonies pendant l’hiver, ce qui touche directement la problématique des colonies faibles incapables de maintenir la « grappe hivernale
Etienne Minaud et al., Temperature in overwintering honey bee colonies reveals brood status and predicts colony mortality, Ecological Indicators (2024). https://doi.org/10.1016/j.ecolind.2024.112961
Un autre article récent dans Insects aborde les stratégies de gestion de colonies hivernées, y compris l’impact des températures d’automne et des stress environnementaux sur la survie des colonies — les résultats sont pertinents pour comprendre comment les colonies faibles sont plus vulnérables aux stress hivernaux.
Gina DeGrandi-Hoffman et al., “Adapting Overwintering Honey Bee (Apis mellifera L.) Management to Climate Change: Effects on Colony Survival and Growth”, Insects (2025). https://doi.org/10.3390/insects16030266
Les enquêtes nationales conduites par la Plateforme ESA fournissent des données de terrain qui associent fréquemment la faiblesse des colonies à une mortalité accrue en sortie d’hiver.
ENMHA – Enquête nationale de mortalité hivernale des colonies d’abeilles (résultats détaillés). https://www.plateforme-esa.fr/sites/default/files/…





