Secouer ou ne pas secouer
#91 | Pratique | Science appliquée | Le test au sucre glace remis en cause
Depuis plusieurs années, le test au sucre glace s’est imposé comme une méthode populaire parmi les apiculteurs pour estimer la présence du Varroa destructor dans les colonies. L’idée séduit : saupoudrer quelques abeilles d’un peu de sucre, les secouer doucement dans un récipient, récupérer les acariens tombés pour les compter, puis relâcher les abeilles. Contrairement au lavage à l’alcool, cette méthode a longtemps été présentée comme « non létale ».
Or, une équipe américaine vient de remettre en question cette conviction. Selon l’étude de Selina Bruckner et al. (2025) publiée dans le Journal of Apicultural Research en septembre dernier sous le titre “Let’s not sugar coat it: the powdered sugar shake is not harmless for honey bee workers”., le test au sucre glace n’est pas sans conséquences pour les abeille.
Une expérience à grande échelle
Les chercheurs ont mené leurs travaux dans trois États américains — Alabama, Tennessee et Pennsylvanie — entre 2022 et 2024. Ils ont comparé trois groupes d’abeilles issues de colonies bien identifiées : un groupe soumis à un test au sucre glace complet (secouées après poudrage), un groupe simplement recouvert de sucre sans agitation, et un groupe témoin.
Chaque colonie a reçu 900 ouvrières marquées individuellement à la peinture, selon un protocole de suivi par capture-recapture1. Après le traitement, les abeilles étaient relâchées dans leur ruche d’origine, et les chercheurs revenaient cinq jours plus tard pour mesurer le taux de survie à partir du nombre d’individus retrouvés sur les cadres.
Des pertes significatives
Les résultats sont sans appel : seulement 44 % des abeilles soumises à la secousse au sucre glace ont été retrouvées cinq jours plus tard, contre 72 % pour le groupe simplement poudré et 76 % pour le groupe témoin.
Autrement dit, près d’une abeille sur deux n’ pas survécu pas à cette manipulation pourtant censée être bénigne. Le poudrage seul n’a pas d’effet mesurable sur la survie, ce qui indique que la mortalité est liée à la agitation du récipient plutôt qu’à la présence du sucre lui-même.
Les chercheurs évoquent plusieurs pistes : blessures physiques, stress thermique ou cognitif, voire désorientation au retour dans la colonie. Des travaux antérieurs ont déjà montré que des abeilles soumises à un stress mécanique peuvent présenter des troubles du comportement et de l’apprentissage (Bateson et al., 2011).
Une efficacité variable
Les auteurs ont également comparé l’efficacité du test au sucre glace avec celle du lavage à l’alcool, considéré comme la méthode de référence. Sur un ensemble de 18 colonies, le taux moyen de récupération des varroas par le sucre glace atteignait 89 %, mais avec une variabilité extrême — de 67 à 100 %.
Autrement dit, dans certaines situations, un tiers des acariens passent inaperçus. Cette variabilité s’explique par les conditions environnementales : humidité élevée, nectar présent sur les abeilles, ou simple différence dans la vigueur du secouage. Dans un contexte où le seuil d’intervention se situe à 3 % d’infestation (trois varroas pour cent abeilles), une sous-estimation du niveau réel peut retarder un traitement et conduire à la perte de la colonie.
Les conséquences pratiques pour l’apiculteur
L’étude remet en cause une pratique pourtant largement encouragée dans les formations de terrain. Si le test au sucre glace permet d’éviter la mise à mort directe des abeilles échantillonnées, il semble provoquer une mortalité différée importante.
Les chercheurs invitent donc les apiculteurs à préférer le lavage à l’alcool, non seulement plus fiable, mais paradoxalement moins néfaste pour la colonie dans son ensemble. Le prélèvement de 300 abeilles représente une perte bien moindre que celle engendrée par la disparition silencieuse d’une partie des ouvrières après un test mal évalué.
Encadré – Lavage à l’alcool : méthode de référence
Le lavage à l’alcool consiste à immerger un échantillon d’environ 300 abeilles adultes dans une solution alcoolisée puis à l’agiter afin de décrocher les varroas phorétiques. Le nombre d’acariens récupérés est ensuite rapporté au nombre d’abeilles pour obtenir un taux d’infestation. Cette méthode est considérée comme la plus fiable dans les protocoles de suivi sanitaire, car elle offre une estimation précise et reproductible, y compris près du seuil d’intervention fixé à 3 %.
Elle implique la mort des abeilles prélevées, ce qui limite son adoption chez de nombreux apiculteurs amateurs. Cette perte reste cependant faible au regard du bénéfice sanitaire, car un diagnostic mal estimé conduit souvent à des traitements tardifs ou inutiles. En France, le lavage à l’alcool est recommandé par l’ITSAP et plusieurs structures sanitaires régionales dans le cadre d’une gestion raisonnée du varroa.
📌 https://abeille-dauphinoise.fr/files/Guides/varroa/varroa-itsap.pdf
Un débat à replacer dans la gestion intégrée du varroa
Ce travail s’inscrit dans une réflexion plus large sur les bonnes pratiques de gestion intégrée du varroa. Les auteurs rappellent que de nombreux apiculteurs, notamment amateurs, continuent d’appliquer des traitements acaricides sans mesure préalable, ou selon un calendrier fixe. Une telle approche favorise la résistance des acariens, augmente les coûts et compromet la qualité des produits de la ruche.
Le suivi rigoureux du niveau d’infestation reste donc un pilier de la conduite sanitaire. Dans cette perspective, la fiabilité du protocole de mesure prime sur son apparente douceur. Comme l’indique l’article, mieux vaut un diagnostic précis et ponctuellement létal qu’un test faussement rassurant.
Vers une réévaluation des méthodes « non invasives »
Le mythe du sucre glace « sans risque » illustre la tension constante entre la volonté de préserver les abeilles et la nécessité d’obtenir des données exactes. Si certaines méthodes alternatives, comme l’anesthésie au CO₂, sont à l’étude (de Feraudy et al., 2019), leur validation scientifique reste limitée.
Les auteurs de l’étude soulignent qu’aucune technique ne devrait être adoptée sans évaluation rigoureuse de son impact sur les abeilles. L’argument moral du respect de la vie des abeilles ne peut se substituer à l’exigence de précision et de cohérence sanitaire.
Références
Principale
Bruckner, S., Williams, G. R., Tsuruda, J., & Underwood, R. M. (2025). Let’s not sugar coat it: the powdered sugar shake is not harmless for honey bee workers. Journal of Apicultural Research. DOI: 10.1080/00218839.2025.2550855.
Citées dans l’étude et l’article
Melissa Bateson, Suzanne Desire, Sarah E. Gartside, Geraldine A. Wright, Agitated Honeybees Exhibit Pessimistic Cognitive Biases. Current Biology, Volume 21, Issue 12, https://doi.org/10.1016/j.cub.2011.05.017.
De Feraudy, L., Marsky, U., & Danihlik, J. (2019). Efficiency of Varroa monitoring methods: The benefits of standardized monitoring devices. https://www.veto-pharma.com/wp-content/uploads/2022/02/VEC_Poster_Apimondia_2019.pdf
Capture-recapture est une méthode d’échantillonnage écologique permettant d’estimer la survie ou l’effectif d’une population. Dans cette étude, 900 abeilles ont été marquées individuellement puis relâchées, et les chercheurs ont compté combien ont été retrouvées cinq jours plus tard pour calculer le taux de survie après différents traitements.