Pollinisation : quand oiseaux et mammifères jouent les butineurs
#29 | Vivants | Environnement | Dans certaines régions du monde, des oiseaux et des mammifères jouent un rôle clé dans ce processus essentiel à la reproduction des plantes.
La pollinisation est souvent associée aux abeilles, papillons et autres insectes, mais elle ne leur est pas exclusivement réservée. Dans certaines régions du monde, des oiseaux et des mammifères jouent un rôle clé dans ce processus essentiel à la reproduction des plantes. Qui sont ces pollinisateurs inhabituels, et comment contribuent-ils à la biodiversité ?
Les oiseaux pollinisateurs : des as du vol au service des fleurs
Certains oiseaux, particulièrement adaptés à cette tâche, se nourrissent de nectar et, en visitant les fleurs, transportent le pollen d'une plante à l'autre.
Les colibris
Les colibris ou oiseaux-mouches sont les plus petits oiseaux du monde et de véritables champions de la pollinisation dans les Amériques, de l'Alaska à la Patagonie. Ils se nourrissent principalement de nectar, mais aussi d'insectes. Particulièrement attirés par les fleurs rouges, leurs ailes battent horizontalement — à la manière d'un hélicoptère — leur permettant d'effectuer un vol stationnaire prolongé. Cette capacité, combinée à leur bec fin, leur permet d'atteindre les fleurs tubulaires. En plongeant leur tête dans les corolles, ils se couvrent de pollen qu'ils disséminent de fleur en fleur. Ces oiseaux extraordinaires sont les seuls à pouvoir voler en arrière, leur vol rappelant celui du Moro sphinx, un papillon de nos régions méditerranéennes.
Les loriquets et perruches nectarivores
Ces magnifiques oiseaux natifs des vastes étendues d'Australie et d'Océanie, se distinguent par leur adaptation remarquable à la consommation de nectar. Leur langue, dotée de franges microscopiques semblables aux poils d'un pinceau délicat, leur permet de récolter efficacement le nectar des arbres à fleurs avec une précision extraordinaire. Cette spécialisation anatomique, combinée à leur régime alimentaire diversifié qui inclut également des fruits, des graines et parfois de petits insectes, en fait des pollinisateurs particulièrement efficaces dans leur écosystème. Ils jouent un rôle crucial dans la reproduction de nombreuses espèces végétales endémiques, notamment les majestueux eucalyptus qui dominent le paysage australien et les banksias aux fleurs spectaculaires.
Les souimangas (genre Nectarinia)
Sur le continent africain, ce sont les oiseaux du genre Nectarinia, petits passereaux butineurs, qui assurent cette ornithophilie. En Afrique australe notamment, cinq espèces du genre Nectarinia qui pollinisent huit genres de la famille des Iridacea. Ces plantes, particulièrement dans la sous-famille des Ixioideae (genre Dierama), arborent des fleurs rouges à orange avec un périanthe floral très long (ensemble pétales-sépales) de 30 à 60 mm et des étamines unilatérales. Cette disposition facilite la dissémination du pollen : les deux loges de l'anthère, placées du côté externe de la fleur, dépassent du tube floral telle une « offrande ». Lorsque ces petits oiseaux s'approchent de la corolle pour aspirer le nectar, leur tête touche naturellement les anthères, permettant au pollen de se déposer sur leurs plumes. Cette adaptation est particulièrement visible chez Gladiolus Papilio.
L'adaptation de leur bec est tout aussi remarquable. Ces oiseaux possèdent tous un bec effilé, parfois légèrement recourbé, parfaitement adapté aux corolles tubulaires et courbes des fleurs (une forme qui protège aussi le nectar et le pollen de la pluie). La longueur de leur bec correspond précisément à celle des corolles.
Les mammifères pollinisateurs : des alliés nocturnes inattendus
La pollinisation par les mammifères est plus rare mais tout aussi fascinante. Ces animaux, souvent nocturnes, transportent le pollen sur leur pelage ou leur museau.
Les chauves-souris
Les chauves-souris frugivores, particulièrement présentes dans les régions tropicales et subtropicales, jouent un rôle crucial dans la pollinisation de nombreuses espèces végétales économiquement importantes. Elles assurent notamment la pollinisation des bananiers, des manguiers et de diverses espèces de cactus. Ces mammifères volants sont parfaitement adaptés à leur rôle de pollinisateurs nocturnes : leur excellent sens de l'orientation et leur capacité à détecter les odeurs leur permettent de localiser les fleurs dans l'obscurité. Attirées par les puissants parfums que dégagent ces fleurs nocturnes et par leur abondante production de nectar, elles effectuent des visites régulières qui assurent un transport efficace du pollen.
L'espèce Lonchophylla robusta, une chauve-souris nectarivore, habite l'Amérique centrale et le nord de l'Amérique du Sud. Cette espèce présente une adaptation physiologique particulièrement sophistiquée. Sa langue, caractérisée par deux sillons dotés de microstructures musculaires, utilise une synergie entre forces capillaires et musculaires pour l'extraction du nectar. Cette configuration anatomique distinctive, associée à une morphologie buccale spécialisée, constitue une innovation biologique unique dans le monde animal.
Les marsupiaux australiens
En Australie, plusieurs espèces fascinantes de marsupiaux participent activement à la pollinisation nocturne. Le phalanger volant (Petaurus breviceps) et l’Opossum nain des montagnes (Burramys parvus, dernière espèce encore en vie du genre), petit mammifères arboricoles parfaitement adaptés à la vie dans les forêts australiennes, se nourrissent régulièrement de nectar et de pollen. Lors de leurs déplacements nocturnes d'arbre en arbre à la recherche de ressources alimentaires, leur fourrure dense et soyeuse se couvre naturellement de grains de pollen. Cette particularité en fait des vecteurs efficaces de pollinisation, contribuant ainsi à la reproduction de nombreuses espèces végétales endémiques.
Les rongeurs
Dans certaines régions du monde, particulièrement en Afrique et en Australie, des rongeurs fascinants comme le rat à miel (ou rat de fleurs) se sont spécialisés dans la consommation de nectar. Ces petits mammifères nocturnes, dotés d'un excellent odorat, sont capables de détecter les fleurs riches en nectar même dans l'obscurité. Leur museau allongé et leurs vibrisses sensibles se couvrent naturellement de pollen lorsqu'ils s'approchent des fleurs pour se nourrir, faisant d'eux des pollinisateurs efficaces bien qu'involontaires.
Des chercheurs de l'Ethiopian Wolf Conservation Programme (EWCP) ont publié une découverte étonnante dans la revue Ecology en novembre 2024 : les loups d'Éthiopie (Canis simensis), pourtant carnivores reconnus, se nourrissent du nectar d'une plante nommée Kniphofia foliosa. Cette plante endémique des hautes altitudes éthiopiennes produit des inflorescences attractives aux teintes jaunes et rouges, fleurissant de juin à novembre et attirant traditionnellement des pollinisateurs comme les souimangas. Cette observation fait des loups d'Éthiopie les premiers grands prédateurs carnivores connus pour leur consommation de nectar (référence : https://doi.org/10.1002/ecy.4470)
Oiseaux pollinisateurs en France : un rôle discret mais présent
En France métropolitaine, les oiseaux intervenant directement dans la pollinisation sont rares, mais ils existent.
Le merle et les grives
Ces oiseaux se nourrissent principalement de fruits et enrichissent leur régime alimentaire en visitant régulièrement diverses fleurs. Particulièrement actifs au printemps et en été, ils explorent méthodiquement les plantes à baies ainsi que les fleurs produisant du nectar en abondance. Au cours de ces visites répétées, leur bec et leur plumage se couvrent naturellement de grains de pollen qu'ils transportent ensuite d'une plante à l'autre. Cette activité, bien que secondaire dans leur comportement alimentaire, contribue significativement à la pollinisation de certaines espèces végétales locales.
Le rouge-gorge, mésanges bleue, mésange charbonnière
Bien que ces oiseaux ne soient pas considérés comme des pollinisateurs majeurs dans leur comportement naturel, ils jouent néanmoins un rôle intéressant dans le processus de pollinisation. Au cours de leurs activités quotidiennes, particulièrement dans les jardins et les haies, ils interagissent fréquemment avec diverses fleurs, que ce soit en recherchant activement des insectes qui s'y cachent ou en s'alimentant occasionnellement de nectar. Ces interactions, même si elles sont fortuites, contribuent à la dissémination du pollen et participent ainsi à la reproduction des plantes de nos écosystèmes locaux.
Mammifères pollinisateurs en France : des alliés nocturnes
Le rôle des mammifères dans la pollinisation française reste discret. Ces interactions restent anecdotiques et n'ont pas un impact significatif sur les écosystèmes floraux français.
Les chauves-souris
En France, les chauves-souris insectivores, comme la pipistrelle, ne consomment pas directement de nectar. Toutefois, elles contribuent indirectement à la pollinisation en transportant du pollen lorsqu'elles explorent des fleurs en quête d’insectes. Il s’agit donc d’une interaction indirecte.
Le loir gris et le lérot
Ces petits rongeurs arboricoles, présents dans les forêts françaises, se nourrissent de fruits, de nectar et de pollen. En explorant les fleurs d'arbres fruitiers ou les plantes sauvages, ils participent à la pollinisation, particulièrement en milieu nocturne.
Plantes concernées en France
En France, certaines plantes bénéficient particulièrement de ces pollinisateurs alternatifs :
Le lierre : cette plante tardive attire à la fois les oiseaux et les chauves-souris à la recherche d’insectes ou de nectar en automne.
Les arbres fruitiers : pommiers, cerisiers ou poiriers sont parfois visités par des rongeurs en quête de nectar ou de jeunes fruits.
Les plantes sauvages : Des espèces comme le chèvrefeuille ou la campanule peuvent aussi être explorées par des oiseaux ou mammifères.
La pollinisation ne repose pas uniquement sur les insectes. Les oiseaux et mammifères apportent une petite contribution, souvent méconnue, à l’existence de nombreuses plantes.
Points clés
Les oiseaux pollinisateurs incluent les colibris en Amérique, les loriquets en Océanie et les souimangas en Afrique, avec des adaptations spécifiques comme des becs effilés.
Les chauves-souris frugivores sont des pollinisateurs nocturnes essentiels dans les régions tropicales, pollinisant notamment les bananiers et manguiers.
En Australie, les marsupiaux comme le phalanger volant et l’oppossum pygmée participent à la pollinisation nocturne.
Les rongeurs, particulièrement en Afrique et en Australie, contribuent à la pollinisation grâce à leur consommation de nectar.
En France, la pollinisation par les oiseaux et mammifères reste limitée, avec une contribution modeste des merles, grives, chauves-souris et petits rongeurs.
Références
Schwilch R. Mantovani R., Spina F. et Jenni L. (2001), Nectar consumption of warblers after long-distance flights during spring migration. Ibis, 143: 24–32. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1474-919X.2001.tb04166.x/abstract
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Lai, Sandra, Don-Jean Léandri-Breton, Adrien Lesaffre, Abdi Samune, Jorgelina Marino, and Claudio Sillero-Zubiri. 2024. Canids as Pollinators? Nectar Foraging by Ethiopian Wolves May Contribute to the Pollination of Kniphofia Foliosa. Ecology e4470. https://doi.org/10.1002/ecy.4470